La cosmologie amérindienne nous permet de comprendre les deux aspects du mot Terre : celui de l’axe vertical Terre/Ciel, et celui du cercle horizontal que l’on appelle Terre de l’humanité ou « des humains qui fleurissent. »
Pour illustrer le premier aspect, il me vient une histoire qui m’a été transmise par Touhou Pouvou, chamane amérindienne.
La Terre-Mère « Autrefois, au commencement des temps, au temps d’avant, le Ciel qui contient tout l’univers avait accouché du Soleil. Celui-ci se promenait d’un pas régulier dans l’espace et se délectait de sa course. Au cours de ses pérégrinations, il se mit à remarquer cette belle planète qui se rapprochait de lui à intervalles réguliers. Il la regardait sans se lasser et s’émerveillait de la beauté de ses formes et de ses couleurs. Il finit par en tomber amoureux, et ne savait comment lui exprimer sa passion; il continuait sa marche lente au fil des siècles tout en réalisant qu’il ne pouvait en altérer le cours pour pouvoir la toucher. Il devint tellement plein d’amour et de désir pour elle qu’il se mit à suffoquer et à sentir une rougeur lui monter au visage. Il ne put rien faire pour arrêter le processus. Un beau jour il rentra même en éruption ! De sa masse de feu se détachèrent alors des étincelles, qui descendirent sur la planète Terre. En touchant le sol, les étincelles de feu s’enfoncèrent dans la matière tendre et délicate; le soleil crut qu’elles s’étaient éteintes et continua à envoyer tout son amour à la planète si belle et douce mais si lointaine: la Terre qui, elle aussi, aimait le Soleil garda les particules de feu dans son ventre, leur donna sa substance pour créer une forme qui entoure les précieuses étincelles venues de son amoureux fait de lumière. Un jour, quelques jours après pour le soleil, des millions d’années pour nous, le soleil crut percevoir un mouvement à la surface de sa planète bien-aimée; il discerna des formes qui bougeaient là où étaient tombées les étincelles. Ces formes changèrent, changèrent et changèrent encore en laissant à chaque fois des traces dans le corps de la Terre; ainsi naquirent les roches, les végétaux, les animaux et les humains, témoins des amours du Soleil et de la Terre. » « Cette histoire, commenta Touhou Pouvou, nous dit un secret : la lumière a été recueillie dans le ventre de la Terre. Nous sommes ses enfants. Notre corps nous a été donné par la Terre-Mère et chaque cellule abrite la lumière du Père-Soleil. » La Terre a un rythme aussi bien à elle qui a pu être mesuré scientifiquement; son cœur bat, disent les amérindiens; le battement du tambour des cérémonies et danses amérindiennes nous le rappelle. Des recherches récentes ont révélé que les personnes qui sont exposées régulièrement au rythme d’un tambour ont une meilleure résistance aux infections . Ils retrouvent l’harmonie du rythme terrestre, de la voix de la Terre-Mère qui leur rappelle leur neuf mois de vie aquatique près du cœur de leur mère biologique. Une femme indienne m’a dit un jour : « Sais-tu ce qu’est l’attraction terrestre ? » Et moi, bonne élève, de penser « gravitation, masse, distance » et de tâcher de trouver quelque loi physique qui décrive le phénomène. Elle me regarda lâcher mes bribes de souvenirs de cours de physique puis éclata de rire. Elle dit alors : « Non, je parle de la vraie chose : de l’amour que la Terre a pour nous. » Devant mon air ahuri, elle poursuivit : « Oui, la Terre nous aime tant qu’elle veut nous garder près d’elle. Elle nous maintient à la surface de cette planète, par la force du désir qu’elle a de nous nourrir, de nous voir grandir. Sans cela nous volerions dans l’atmosphère, » ajouta-t-elle avec un clin d’œil. Elle nous garde ainsi près d’elle pour que nous soyons près de tous les cadeaux qu’elle nous offre en permanence: son eau qui baigne chaque cellule de notre corps, son bois qui nous réchauffe et nous permet de construire des abris, ses minéraux pour renforcer notre corps et pour créer des outils. » Je me suis souvenue alors de cette expérience d’enfant que j’eus un jour alors que je suivais mes grands parents à la chasse. Je n’avais pu m’empêcher de me coucher dans un champ fraîchement labouré, fascinée par le sentiment d’ouverture et d’accueil de cet espace où j’avais envie de me blottir à nouveau. C’était donc cela ! La Terre-Mère avait parlé à l’enfant, et je lui avais répondu en me laissant prendre dans ses bras. Mon amie indienne venait de mettre des mots sur l’impression puissante de cette générosité permanente qui m’avait alors touchée au cœur.
L’élément Terre.
Maud Séjournant